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Etude par Maxime Mortreau

A côté des spectaculaires inscriptions monumentales, l’écrit apparaît sur une multitude d’objets de la vie quotidienne.

Ces inscriptions courtes, voire laconiques, se présentent sous la forme d’estampilles et de graffiti, sur les enduits peints de murs, la vaisselle en terre cuite ou métal, le bois, les matières dures, les terres cuites architecturales...

Graver son nom

Assez rarement retrouvés lors des fouilles archéologiques, beaucoup de graffiti sur céramique sont incomplets à cause de la fragmentation des tessons.

Les objets du quotidien portent parfois des inscriptions brèves gravées à la pointe sèche après le stade de la production. Ces graffites désignent le nom du propriétaire sur les céramiques le plus souvent.

La plupart des noms inscrits sur les objets reflètent les origines de leurs propriétaires : romaine comme MARTILLA ou AQUELA ou gauloise comme ASSEDICO.

Graffito COMIV

Le plus ancien graffito connu sur Angers a été tracé après cuisson sous le fond d’un gobelet à pied balustre découvert rue des Filles-Dieu (fouilles M. Pithon, Inrap 2010) dans un contexte immédiatement postérieur à la conquête césarienne.

Il peut être lu : COMIV.

Ce nom propre gaulois est à rapprocher de Com(m)ios. Roi du peuple des Atrébates, un temps allié des romains pendant la guerre des Gaules, ce dernier est mentionné dans les commentaires de César ainsi que sur des légendes monétaires (voir Delamarre, 2007, p. 71).

Graffito COMIV gravé, céramique commune sombre tournée, Gaule de l'Ouest, atelier local,
milieu du 1er siècle avant J.-C., trouvé à Angers, rue des Filles-Dieu, 2010, inv. US 161, CE29.

La pratique de l’écriture semble se répandre assez vite à Angers touchant même des milieux modestes comme l’artisan potier augustéen de la Place du Ralliement (fouilles Jean Siraudeau, 1971).

Une assiette de sa production porte, tracés avant cuisson sur les deux faces, des bribes de textes en langue gauloise, malheureusement trop lacunaires pour tenter d’en restituer le sens : C]OBARON[/COGO[/SA[ et ]MTVAN[/]ISTIACOS.

Graffito début d'un abécédaire ABCDEF

Les milieux de l’artisanat et du commerce, dont la clientèle se recrutait parmi les classes moyennes instruites, étaient tenus de maîtriser un minimum de notions d’écriture et de comptabilité.

Cet apprentissage pouvait se faire sur le lieu même de la fabrication des poteries ou des terres cuites destinées à la construction.

Un bel exemple est fourni par ce fond de céramique en terra nigra importée découvert lors des fouilles de la Bibliothèque municipale qui offre, tracé avant cuisson, le début d’une série alphabétique comprenant 6 lettres : A, B, C, D, II(e) et F.

On notera la graphie si particulière du E, en écriture cursive, composée de deux traits parallèles.

Graffito début d'un abécédaire ABCDEF avant cuisson, céramique commune noire, Ier siècle, trouvée à Angers, nouvelle bibliothèque, 1975. Angers, musées, dépôt du Service régional de l’archéologie, inv. D.2004.15.11.1

Dolium avec graffito ASSEDICO

Sur la panse d’un vase de stockage (dolium) découvert sur le site de la Gaumont Saint-Martin (fouilles Jean Brodeur, Afan 1991), de datation tibérienne (15/40 de n. è.) servant à stocker des denrées périssables solides ou liquides, peut-on lire le nom gaulois de son propriétaire : ASSIIDICO(s).

Dans le dictionnaire de Xavier Delamarre (2001, p. 140) les noms propres Adseddo et Assedili, proche de notre Assedico, sont reliés au mot gaulois essedon (char de guerre) dont la forme originale serait ad-sedon, mal transcrite en latin.

Cette prévalence des noms d’origine gauloise pendant la période julio-claudienne recoupe les données livrées par l’épigraphie classique pour Iuliomagus (voir l’exemple de Solirix).

Dolium avec graffito ASSEDICO, début du Ier siècle, céramique commune claire, trouvé à Angers, Saint-Martin / Gaumont, 1991. Angers, musées, dépôt du Service régional de l’archéologie, inv. D.2004.15.20.2

Ecuelle avec graffito AQUELA

A côté de ces noms purement gaulois, les fouilles menées rue Delaage par Jean Siraudeau en 1974 ont livré, groupée au sein du même ensemble (Puits P1), une série d’assiettes en terra nigra Menez 53/55 portant toutes le même graffito tracé après cuisson sur la face visible externe pouvant être lu : AQVIILA.

Ce surnom renvoie clairement au mot latin Aquila signifiant « l’aigle », la différence de graphie exprimant peut-être une prononciation à la gauloise.

Ce surnom est également attesté localement sur le site de la Bibliothèque municipale (fouilles Jean Siraudeau 1975) gravé sur la panse d’une amphore Dressel 2/4 cette fois avec une orthographe latine plus conforme : AQVILA.

Ecuelle à bord rentrant avec graffito AQUELA, début du Ier siècle, céramique commune noire, trouvée à Angers, 14 rue Delâage, 1974. Angers, musées, dépôt du Service régional de l’archéologie, inv. D.2004.15.5.3

Graffito avec le nom Valentinus


A la base d’un petit gobelet en parois fines engobées des ateliers du Centre de la Gaule daté de la première moitié IIe s. a été gravé à la pointe sèche après cuisson la marque d’appartenance suivante : VALENTINI, (le vase de) Valentinus.

Ce cognomen ou nom unique, dérivant de l’adjectif valens-tis (fort, robuste, vigoureux, en bonne santé) est relativement fréquent dans l’empire romain.

Comme marque de potier, il est notamment connu sur l’atelier d’Heiligenberg pendant les règnes de Trajan et d’Hadrien.

Graffito avec le nom du propriétaire du vase : Valentinus (Valentini), provenant des fouilles de la place du Ralliement, 1971. Angers, musées, dépôt du Service régional de l'archéologie, inv. D.2004.15.2.8

Fragment d’assiette avec graffito MARTILLA

Ce graffito, tracé à la pointe sèche sous le fond d’une coupe Lez. 043 en céramique sigillée des ateliers de Lezoux datée des années 160/230 ap. J.-C. aux lettres bien formées, est décliné au nominatif.

Le nom latin Martilla transcrit sous une forme grecque Mαρτιλλα est très fréquemment attesté dans la province d’Egypte romaine au cours des IIe et IIIe s. ap. J.-C.

Il s’agit probablement d’un nom formé sur celui du dieu bien connu Mars, comme Martialis. Xavier Delamarre (Noms de lieux celtiques de l'Europe ancienne, 2012) propose un idionyme gaulois : Martilios qui pourrait tout aussi bien convenir.

Fragment d’assiette avec graffito MARTILLA, Ier siècle, céramique sigillée, trouvé à Angers, Basse-Chaîne, 1841. Angers, musées, inv. MA GF 2367.49

Inscrire le contenant


Parfois des écritures nous renseignent sur la nature, le poids, le volume conservé généralement sur des pots, des cruches et des amphores.

Col d'amphore vinaire avec graffito QS LIIII

C’est le cas d’une amphore de fabrication régionale apparentée Gauloise 4 ou 5 découverte sur le site de l’avenue de la Blancheraie en 2008 (fouilles Jean Brodeur, Inrap) dans un contexte de la fin du Ier s.

Le court texte gravé à la base de son col peut être lu : Q S LIIII.

On peut le traduire par : Q(uintus ?), 54 S(extarii)

Le setier (sextarius) est une mesure romaine correspondant à peu près environ 54 centilitres. Le volume est donc d'environ 29,2 litres.

Col d'amphore vinaire avec graffito QS LIIII, atelier de la Gaule de l'Ouest, fin Ier siècle, trouvée à Angers, avenue de la Blancheraie, 2008, Angers, Centre de conservation er d'étude de Maine-et-Loire, inv. 49007 168-19

Col d'amphore à salaison avec inscription peinte mentionnant le contenu

Une dernière inscription peinte (titulus pictus), se développant en plusieurs lignes sur le col d’une amphore Dressel 9 similis produite à Lyon, a été découverte couvent des Jacobins à Angers en 1890.

Elle peut être déchiffrée de la manière suivante : G(arum) F(los) P (.)/M(odii) III/S(extarii)/MVR(.)/L(.) soit 26,9 l. d’excellent garum, sauce de poissons à base de jus extraits de petits poissons salés et séchés.

Les trois lettres MVR indiquent le nom du commerçant en abrégé.

Col d'amphore à salaison avec inscription peinte mentionnant le contenu, céramique, atelier de Lyon, 1ère moitié du Ier siècle, trouvée à Angers, couvent des Jacobins, place Freppel, 1890, Angers, musées, inv. MA 4 R 761.

Les graffites sur support de terres cuites architecturales ont fait l’objet d’une récente recension par Fabrice Charlier dans un numéro de la revue Gallia consacrant un dossier spécial à « L’écriture dans la société gallo-romaine ». 98 textes sont ainsi documentés.