Les épitaphes sont les plus répandues parmi les sources épigraphiques conservées. Elles ont pour fonction de garder le souvenir du défunt en évoquant son nom.

Les nécropoles édifiées le long des routes à la périphérie des villes se présentent comme une suite de monuments funéraires.


Aux deux premiers siècles de notre ère, après une invocation aux dieux Mânes (divinités symbolisant les esprits des morts), le texte mentionne le nom du défunt et sa fonction profession. Les tria nomina, les trois noms romains (prénom, nom de famille, surnom), sont parfois remplacés par un simple nom sur les plaques destinées aux esclaves ou aux personnes de basse condition et apposées sous la niche d’un columbarium.


Les quatre inscriptions d’Angers et de sa périphérie immédiate appartiennent à différents types de tombes et d’épitaphes connus. Elles mentionnent aussi bien le simple nom gaulois que les tria nomina, indice signe d’acquisition de la citoyenneté romaine.

Stèle funéraire de l’épouse de Titus Flavius Asiaticus

Stèle funéraire de l’épouse de Titus Flavius Asiaticus
2e moitié du Ier siècle, granit, trouvée à Angers, ancien cimetière Saint-Julien,
Angers, musées, inv. MA 3 R 39 (photo : Alain Chudeau)

Texte :
VXORI
OPTIMAE
T • FLAVIUS
AVG • LIB
ASIATICUS
...

Transcription :
Uxori / optimae / T(itus) Flavius / Aug(usti) / lib(ertus) / Asiaticus / [...

Traduction :
« A sa femme très chère, Titus Flavius Asiaticus, affranchi de l’empereur,... »

Ce monument funéraire en forme d’autel constitue la plus ancienne inscription romaine conservée sur Angers. Cet autel est creux et devait contenir l’urne cinéraire. Sur le côté droit, un trou permettait de verser des libations en l’honneur du défunt. Au-dessus, une partie creusée était destinée aux offrandes. Réemployé dans un monument chrétien comme base de croix, il a très vite été repéré et fait l’objet de descriptions multiples .

Cette impressionnante dédicace nous fait connaître un esclave affranchi, membre du personnel appartenant à l’administration impériale (Augusti libertus), établie dans les provinces de Gaule et notamment à Juliomagus.

Il porte les trianomina attestant de sa qualité de citoyen romain lui permettant de pouvoir prendre femme et transmettre à ses héritiers son patrimoine accumulé au cours de sa vie.

Cet affranchi a pris le prénom et le gentilice de l’empereur qui le libéra de sa condition servile d’origine. Plusieurs candidats peuvent ainsi postuler à ce titre : Vespasien, Titus et Domitien dont les règnes s’étalent entre 69 et 96 ap. J.-C.

Son surnom Asiaticus renvoie probablement à son origine géographique que l’on peut situer en Asie Mineure.

Les détails de la vie de ce personnage ne nous sont malheureusement pas mieux connus car l’inscription est lacunaire à sa base. La taille du monument funéraire permet toutefois de juger de son importance dans la hiérarchie sociale.

Stèle funéraire d’Aelia Epicarpia

Stèle funéraire d’Aelia Epicarpia
Fin du Ier siècle - IIe siècle, calcaire, trouvée à Angers, rue Toussaint,
porte de la Vieille-Charte en 1838, Angers, musées,
inv. MA GF 2 (photo : Alain Chudeau)

Texte :
D • M
AE[-]IAE EPICARPI[--]
CO[---]
BEN[-] D[-] [--] MERITAE
A[--]THOCLES
AVG • DISP

Transcription :
D(iis) M(anibus) / Ae[l]iae Epicarpi[ae] / co[njugis] / ben[e] d[e] [se] meritae / A[ga]thocles / Aug(usti) disp(ensator) [posuit hoc monumentum]

Traduction :
« Aux dieux Mânes d’Aelia Epicarpia, son épouse bien dévouée envers lui, Agathoclès, trésorier impérial (fit ériger ce monument) ».

Cette épitaphe en belles capitales de 8 cm, sur stèle carrée fut trouvée en 1838 dans les fondations de l’enceinte antique. L’emplacement correspond à l’actuel n°16 de la rue Rangeard, quand fut démolie la tour sud de la porte de la Vieille Chartre. Les relevés faits au XIXe siècle compensent son état actuel, assez dégradé depuis lors.

L’auteur, Agathoclès (ou Agathocle), porte un nom grec signifiant « Bonne renommée », porté par un sophiste cité dans Platon et par un tyran de Syracuse, mais assez commun dans l’onomastique servile et affranchie. Aelia (ou Élia), le nom romain de sa femme décédée, est le féminin du gentilice de l’empereur Hadrien, et il fut donné, entre autres, à la première épouse de l’empereur Théodose. Il est suivi ici d’un surnom mystique, d’origine grecque, Épicarpia, dont le sens est « La Fructifiante ».

La fonction de dispensator, mentionnée sur d’autres pièces archéologiques, était celle d’un esclave qualifié, sorte d’intendant ou comptable, mais avec des responsabilités économiques, financières, voire fiscales, assez importantes, surtout quand elles étaient assurées dans une ville au nom de l’État impérial, désigné ici par l’abréviation « AUG ». En effet les titres génériques « Augustus » ou « Caesar » qualifient chaque empereur, mais indépendamment de son nom personnel, donc sans permettre de datation précise.

Quant à la formule « Bien dévoué », elle est assez courante dans les épitaphes, pour exprimer l’affection conjugale, comme ici ; mais on la trouve aussi dans d’autres contextes.

Stèle funéraire de Solirix

Stèle funéraire de Solirix
Première moitié du Ier siècle, calcaire blanc, trouvé à Sainte-Gemmes-sur-Loire,
Les Châtelliers, vers 1820, Angers, ancienne collection Toussaint Grille,
Angers, musées, inv. MA GF 4 (photo : Alain Chudeau)

Texte :
SOLIR
IX • HOC
DONATVM
AN • XXV • N •

Transcription :
Solir/ix hoc/donatum/an(nos) XXV n(atus)

Traduction :
« Solirix, a fait ce don, né il y a 25 ans

Cette inscription funéraire est exceptionnelle à plus d’un titre (CIL, XIII, I1, 1899, n°3095). Bien que ne provenant pas d’Angers même mais de son proche voisinage, elle met en relief un personnage gaulois, décédé prématurément.

Le dédicant ne porte qu’un nom unique, caractéristique des usages indigènes. Solirix est un nom gaulois formé sur les racines Soli et Rix, signifiant : "le roi à la bonne vue", "le roi qui a bon œil". Xavier Delamarre (2001) signale en outre l’existence d’un autre Solirix à Marguerittes, en Gaule Narbonnaise, chez les Volques Arécomiques, près de Nîmes (CIL, XII, 1888, n°3005 et ILGN, 1929, n°397. Delamarre, 2007, p. 171 : « Cnaeus, fils d'Excingillus, Solirix, son épouse, leurs fils pour leurs parents l'ont fait »).

Le libellé de l’inscription ne correspond pas à du latin classique mais serait plutôt dans sa conception de structure gauloise. « Hoc donatum » doit se comprendre comme « il a élevé ce monument à ses frais ».

L’état de la langue, la forme particulière des lettres, l’absence des formules funéraires, la petite taille du support et l’emploi d’une roche locale (le tuffeau) tout milite pour une datation précoce d’époque julio-claudienne.

Le dessin réalisé par Hippolyte Godard pour illustrer les publications des fouilles de son père, Victor Godard-Faultrier, aux Châtelliers de Frémur, fait figurer un vase posé au sommet de la petite stèle chanfreinée. Cette disposition unique nous fait penser à un montage d’époque associant deux trouvailles distinctes, une nécropole « mal fouillée en 1816 » étant par ailleurs connue au même endroit. La partie creuse ovoïde recevait sans doute une offrande ou une lampe.

Plaque funéraire de Senecio

Plaque funéraire de Senecio
Gaule, Angers, seconde moitié du IIe siècle ou première moitié du IIIe siècle, calcaire gris
trouvéa à Angers, clinique Saint-Louis, 2010, Inrap Grand-Ouest, inv. 49007052, isolation 76, US 1260 (photo : Hervé Paitier, INRAP)

Texte :
D • M
SENECIONIS
SENECIANI

Transcription :
D(is) M(anibus)/Senecionis/Seneciani (filii)

Traduction :
« Aux dieux Mânes de Senecio, fils de Senecianus ».

Cette plaque funéraire provenant d’un columbarium a été découverte en surface d’un mur détruit dans l’angle de la domus.

Cette courte inscription nous fait connaître deux pérégrins à nom unique. « Senecio est assez répandu, notamment en Narbonnaise, à Nîmes et à Vienne, et chez les Trévires ; en revanche, il était jusqu’alors inconnu en Lyonnaise.

Le nom de son père Senecianus est au génitif « nu », sans l’indication f(ilius) pour indiquer la relation ; beaucoup moins fréquent en général, il était cependant déjà attesté deux fois en Lyonnaise. À Oehringen, en Germanie supérieure, l’inscription CIL XIII, 6544 mentionne au contraire un Senecian<i>us Senecio citoyen romain.


L’ordre est ici étonnant puisque c’est le père qui porte le dérivé : l’inscription fournit donc un exemple de lignage pérégrin portant sur trois générations au moins des idionymes de même racine. En raison de leur consonance avec des noms celtiques, ils conféraient une double identité gauloise et romaine.»

Stèle funéraire de Claudius Senex

Stèle funéraire de Claudius Senex
Fin du Ier siècle – IIe siècle, calcaire, Angers, musées, dépôt du musée de la civilisation gallo-romaine de Lyon, 2005

Texte :
D * M
CL• SENIS
ANDICA

Transcription :
D(iis) * M(anibus) / CL(audii) SENIS / ANDICA[vi]

Traduction :
« Aux Dieux Mânes de Claudius Senex Andicave »

Cette épitaphe (CIL, XIII, I1, 1899, n°1709), en belle capitale, provient du musée de Lyon, où elle se trouvait dès le début du XIXe siècle, sans que l’on ait de précisions sur sa provenance exacte. Elle est restée longtemps ignorée des érudits angevins, avant que Lyon, très riche en pièces de ce genre, en fasse dépôt à Angers en 2004, à l’occasion de l’ouverture du parcours Histoire d’Angers.

Il s’agit de la partie supérieure d'une stèle de calcaire dont le couronnement a été retaillé et affleuré au dé. Entre les lettres D et M, est figurée une hedera (feuille de lierre), symbole d’attachement ou de renaissance.

L’objet constitue le seul témoignage antique dans la pierre du terme à l’origine du mot « Angevin ». Il est surtout en bien meilleur état que les deux ou trois monnaies gauloises connues, qui le portent également. Il atteste, comme elles, la validité des formes ANDICAVA (« Angers ») et ANDICAVUS/I (« Angevin/s »), lisibles sur les plus anciens manuscrits (VIIIe s.) des textes de Pline, de Tacite ou de La Notice des dignités, et reconnaissable dans la phonétique du terme grec qu’utilise Ptolémée : « Ôndikawaï ». En effet, ce n’est qu’à l’époque mérovingienne (VIe-VIIIe s.), dans les premiers manuscrits de Grégoire de Tours, et sur les monnaies (cf. le tremessis de Beaucouzé, MA 1R 536, du VIIe s.) que l’on trouve la forme ANDECA-, suivant une évolution phonétique constatée pour d’autres mots, et qui aboutit à ANDEGA(VI) au Moyen Âge. Cette dernière forme adoptée dans la traduction actuelle « Andéga(ve) », a influencé les éditeurs modernes de textes anciens jusqu’à leur faire rejeter ANDI-, pourtant plus conforme à la réalité historique, au profit de la leçon ANDE-. Quant au terme « Andes », utilisé par Jules César, dans ses Commentaires de la guerre des Gaules, il pourrait résulter d’une méprise ou d’une faute de copiste, car il ne figure nulle part ailleurs pour désigner les Gaulois de l’Anjou.

« Claudius », le gentilice (nomen) du personnage à qui est dédiée cette stèle – on ne sait par qui, puisque manque la partie inférieure – montre une famille qui pourrait avoir reçu le droit de cité sous l’empereur Claude (41-54). « SENEX », son surnom (cognomen), est rare, mais on l’a trouvé sur un cippe de Carthagène (L. Aemilius Senex), et comme marque d’un potier de Lezoux, important centre de céramique d’Auvergne. Ce surnom pourrait aussi se lire « SENIS », porté par un potier de La Gaufresenque, véritable capitale de la poterie antique, dans l’Aveyron.

Pour expliquer la présence de cette stèle funéraire à Lyon, on peut rapprocher du fait que la cité des Andicaves, intégrée sous l’empereur Auguste, dans la Gaule Lyonnaise, devait envoyer chaque année à Lyon, au milieu des 60 autres cités de la province, une délégation à la célébration du culte impérial, autour de l’autel dressé au confluent de la Saône et du Rhône. Cl. Senex, qui n’est pas répertorié parmi les prêtres permanents de cet autel, peut avoir fait partie d’une telle délégation. Mais il peut évidemment y avoir d’autres raisons à sa présence dans la capitale des Gaules, lors de son décès.