Les grandes inscriptions sur pierre sont peu nombreuses (10 seulement pour la ville d’Angers sur les 14 000 publiées de la Gaule) et jusqu’au début du XIXe siècle, une seule était connue.

Erudits des XVIIe et XVIIIe siècles


Depuis le début du XVIIe siècle, les voyageurs de passage à Angers et les quelques amateurs d’antiquités ne manquent pas de signaler une inscription romaine dans le cimetière paroissial de Saint-Julien. On doit à François Des Rues, receveur des finances et auteur d’un des premiers « guides touristiques » de la France, le plus ancien relevé de cette inscription. Cette grande stèle cubique sert de socle à une croix depuis 1504.

Jean Hiret, l’un des premiers historiens de l’Anjou, note l’année suivante dans Des antiquités de l’Anjou qu’il s’agit du « sépulchre de l’une des femmes des Romains ».

Elle est dessinée avec exactitude vers 1623 par Jacques Bruneau de Tartifume, avocat au présidial et grand amateur d’épitaphes. Avec l’amphithéâtre de Grohan, c’est l’un des rares vestiges visibles de l’Antiquité romaine à Angers.

Jacques Bruneau de Tartifume (1574-1636), avocat au Présidial d’Angers, écrivain, par E. Morel, d’après son portrait par lui-même, lithographie, 1873, AD49 – Coll. Iconographique- Personnalités.

Jacques Bruneau de Tartifume, "St Jehan Baptiste ou St Julien, monument romain...", Angers, contenant ce qui est remarquable en tout ce qui estoît anciennement dict la ville d'Angers, vers 1623, Angers, Bibl. mun., ms 995

Détail de l'inscription de la croix.

L’interprétation de cette inscription s’affine vers 1640 avec Claude Ménard qui y lit la mention d’un affranchi de l’Empereur.

Dubuisson-Aubenay en 1637 et Pierre Dupuy en 1644 se contentent d’un relevé. Le sieur de Moléon dans ses Voyages liturgiques de France… de 1718 malgré un dessin médiocre a bien noté que la stèle renfermait les cendres d’ « une ancienne dame payenne » et la date du Ier siècle grâce au nom Titus Flavius. Il se réfugie derrière l’autorité de l’historien Le Nain de Tillemont, suivi par Julien Péan de la Tuillerie en 1778.

Plus aventureux apparaît le premier commentaire de l’historien mauriste dom Housseau dans son Histoire de Touraine restée manuscrite (fin du XVIIIe siècle) qui y voit la tombe d’une femme devenue chrétienne et appartenant à la famille de l’empereur Gaius Flavius Valerius Constantius, dit Constance Chlore (début du IVe siècle) !

Antiquaires et collectionneurs au début du XIXe siècle

Buste de Jean-François Bodin, par David d'Angers,
Angers, musées, inv. MBA 832.1 S

Au cours de la Révolution, cet autel funéraire est déplacé dans le jardin des Plantes, lieu d’un embryon de musée sous la conduite de Gabriel Merlet de La Boulaye. Il est surmonté d’une colonne de marbre couronnée d’un vase en forme d’urne cinéraire et figure encore sur le plan du jardin qu’en a donné Théophile Tardif-Desvaux.


C’est là que Jean-François Bodin la décrit dans un Mémoire de la Société des Antiquaires de France de 1821, qu’il reprend la même année dans ses Recherches historiques sur Angers et le Bas-Anjou… Pour lui cette tombe correspond à l’emplacement de la nécropole antique d’Angers car Saint-Julien était hors la Cité et une voie passait à proximité du lieu où s’étendaient les tombeaux. Déduction qui repose sur la découverte d’épitaphes dans ce secteur. Mais il s’agit d’inscriptions carolingiennes et non de la période des deux premiers siècles de l’Empire romain. Quant au surnom Asiaticus, il y voit celui d’un soldat ayant combattu en Asie !


En 1817, Jean-François Bodin a la bonne fortune de découvrir avec d’autres pierres mises au rebut du côté de la porte Toussaint, une nouvelle inscription, celle de Mars Loucetius.

Le relieur et collectionneur Jacques-André Berthe apporte une contribution décisive en dessinant ces inscriptions.


Mais ses dessins et traductions de 1829 et 1846 révèlent des compétences limitées en épigraphie qui aboutissent à des interprétations erronées.

Jacques-André Berthe, Recueil historique sur la province d'Anjou,
vol. 1, 1829, détail, p. 24, Angers, bibl. mun., cote Rés. Ms. 1029 (1)

Le collectionneur et bibliothécaire Toussaint Grille est avant tout un savant qui cherche à comprendre tous les objets du passé qu’il accumule, y compris les plus modestes signatures et graffiti sur céramique, dont l’inscription à Solirix.

Ses notes manuscrites sont un témoignage précieux aussi bien pour les inscriptions sur pierre aujourd’hui disparues que pour les plus modestes signatures et graffiti sur céramique. Ses observations sur l’écriture des inscriptions sont justes et encore utiles à consulter.

Portrait de Toussaint Grille (détail), par Jean-Jacques Delusse,
1807, Angers, musées, inv. MA 7 R 723

Toussaint Grille, Note sur la stèle disparue n° 1 (Minervinus), portefeuille, Angers,
généralités sur ses monuments, monuments disparus, Angers, bibl. mun., ms 1744

Conservateurs archéologues de la seconde moitié du XIXe siècle


C’est au Jardin des Plantes, premier lieu d’exposition de ces inscriptions, qu’Alexandre Boreau, directeur, botaniste piqué d’archéologie conserve jalousement la stèle de l’épouse d’Asiaticus jusqu’en 1876.

Mais depuis 1841, un musée d’antiquités est fondé et son directeur, Victor Godard-Faultrier a déjà publié en 1839 la stèle d’Aelia Epicarpia qu’il a vue au moment de sa découverte rue Rangeard.

Il rédige aussi le premier recueil des inscriptions angevines en 1858 à l’occasion d’un Mémoires sur la topographie gallo-romaine du département de Maine-et-Loire. La publication des inscriptions de 1862 est la réponse à une question d’Arcisse de Caumont lors du Congrès archéologique de Saumur. Le rôle des sociétés savantes et des musées est indéniable dans la diffusion de cette connaissance. Ce mémoire est sans cesse amélioré, Godard-Faultrier prenant l’avis de divers spécialistes.

Buste de Victor Godard-Faultrier, par Paul-François Beloin, plâtre,
1881, Angers, musées, inv. MA 6 R 1075

Victor Godard-Faultrier (1810-1886), "Epitaphes et poteries romaines",
L'Anjou et ses monuments, Angers, 1839, p. 106, pl. 11 (extrait) (photo : Alain Chudeau)

Epigraphistes et publications depuis la fin du XIXe siècle


On doit à Otto Hirschfeld, professeur à l’université de Berlin, la poursuite du Corpus des inscriptions latines dont les première et troisième parties du tome XIII (Berlin, 1899, 1901-1906) concernent notre région. Ce recueil constitue encore l’ouvrage de référence.

Au cours du XXe siècle, c’est surtout l’instrumentum domesticum qui fait des progrès et il faut attendre 1977 avec les fouilles de la rue Toussaint publiées dans la thèse de Michel Provost, aujourd’hui responsable de la Carte archéologique de la Gaule, pour voir un enrichissement du corpus épigraphique d’Angers.

Cette inscription a été complètement réexaminée par Yvan Maligorne, maître de conférences en histoire ancienne à l’université de Bretagne occidentale (Brest) dans un article d’Aremorica de 2007. D’une épitaphe on passe désormais à la dédicace d’un sanctuaire de carrefour.

Bernard M. Henry produit une synthèse grand public dans son Anjou dans les textes anciens de 1978. Cet enseignant en philologie latine à l’Université Catholique de l’Ouest et à l’université d’Angers s’intéresse principalement aux racines et étymologies des noms rencontrés sur les inscriptions.

Jean Siraudeau, ancien correspondant des antiquités historiques publie en 1988 le 2e volume du Corpus des amphores de l’Ouest consacré à Angers et intègre un chapitre sur les timbres et graffites.


Michel Molin, alors professeur d’histoire ancienne à l’université d’Angers évoque à l’occasion d’un volume de mélanges, la base de statue consacrée à Mars Loucetius.

Enfin c’est huit inscriptions supplémentaires sur calcaire, marbre et céramique qui ont été découvertes dans le chantier de la clinique Saint-Louis. Ces plaques votives et de dédicaces en l’honneur de Mithra viennent d’être publiées par Michel Molin, Jean Brodeur et Maxime Mortreau à la fin de l’année 2015 dans la revue Gallia.

L’épigraphie angevine, sans doute faute d’un nombre suffisant (il y en a presque 5 fois plus à Nantes par exemple) reste peu connue. La plupart des inscriptions ont été recueillies dans les premières décennies du XIXe siècle et ont disparu ensuite. Le rôle de V. Godard-Faultrier dans cette recherche épigraphique est d’autant plus à souligner que ses travaux ont été utilisés pendant plus d’un siècle.

Depuis une dizaine d’années, on assiste à un renouvellement des recherches dont l’exposition « Gravé dans le marbre ! » a tenté de mieux faire connaître les acquis.