Etude de Jérémy Delmulle et Maxime Mortreau,
Revue archéologique de l'Ouest, 35, 2018, p. 235-240
La page qui suit est un résumé de cette étude. Pour en savoir plus, reportez-vous à l'article complet.
Il s'agit de la première étude archéologique et céramologique d'un gobelet en terre cuite conservé au musée des Beaux-Arts d'Angers et le déchiffrement du graffito qui y est inscrit. Cette double étude permet de situer la fabrication de cet objet au cours du Ier siècle de notre ère (dans le troisième quart au plus tard) et d'interpréter l'inscription comme une "inscription parlante", dont on connaît de nombreux exemples à la même époque.
Graffito sur gobelet. Angers, musées, dépôt du Service régional de l’archéologie, inv. D.2004.15.13.4
Contexte de la découverte
Le gobelet portant l’inscription a été découvert lors d’une fouille de sauvetage préventive, sous la forme d’un sondage de 250 m2, menée en 1981 par Monique Le Nézet-Célestin à l’emplacement de l’ancienne place Cupif, quartier de la République, à Angers.
L'unité statigraphique dans laquelle a été trouvé l'obet correspond au plus profond niveau archéologique gallo-romain atteint dans la zone, conservée sous une cave moderne. Les structures gallo-romaines du secteur, qui se succèdent du IIe au IVe siècle, sont interprétées comme des constructions à vocation commerciale.
4051 fragments de céramique retrouvés au même endroit proviennent de la vaisselle de table ou de vaisselle destinée au service, à la préparation, à la consommation, au stockage et au transport des denrées alimentaires ou liquides.
La présence et l'association de certains types de céramique (La Graufesenque, phase 4 de Lezoux, type Lezoux 331, type Bertrand 16 des officines de Lyon) permet une datation de l'unité stratigraphique : vers 70-80.
La céramique
Ce gobelet montre une panse ovoïde à petit bord triangulaire et fond plat (ici lacunaire). Cette forme de gobelet, bien attestée par ailleurs sur tout le répertoire de la cité des Andicaves, n'est pas du tout documenté en dehors de cette cité. L'examen visuel de la pâte montre les caractéristiques des productions attribuées à la Gaule de l'Ouest : pâte fine à franges brunes et coeur gris bleutée, surface noire.
Le graffito, gravé à la pointe sèche (stylet en métal) après cuisson sur le vase, fait mention d'une contenance en liquide de cinq sextarii (5 setiers, soit 2,7 litres). Mais le calcul de la contenance d'après la restituton de la forme complète (au moyen de l'application développée par Jean-François Meffre et Yves Rigoir) est de 1,5 litres. Il manque donc plus d'un litre pour atteindre les cinq setiers !
Ce gobelet, généralement compris comme un gobelet à boire serait plutôt un récipient de stockage temporaire pour le service des liquides comme le vin ou la bière.
L'inscription
L'inscription vient d'être déchiffrée par les deux auteurs de cette étude.
Son texte, en capitales régulières et élégantes, peut se reconstituer ainsi :
˂ER (?)˃CAVE FVR NE TOLLA˂S˃
SEX(tarii) V (quinque)
La traduction est :
"Garde-toi bien, voleur, d'emporter ˂...˃
Cinq setiers"
L'inscription gravée sur ce gobelet entre dans la catégorie des "inscriptions parlantes" (telles que définies par Burzachecchi, 1962 ; Agostiniani, 1982). L'adresse à un voleur fait penser que l'inscription devait très certainement avoir pour fonction de marquer la possession - le nom du propriétaire, qui devait précéder cette mise en garde, est perdu ; et il est peu vraisemblable que les dernières lettres du mot qui précède, que l'on peut à peine deviner (ER?), forment la fin d'un nom du génitif - , suivie d'une indication de mesure de capacité.
D'autres exemples sont connues, dans diverses égions et à des époques différentes. Il convient de leur ajouter ce gobelet enfin décrypté.