Les sept daguerréotypes du fonds Arts graphiques des musées d’Angers
Les musées d’Angers ont la chance de conserver sept daguerréotypes dans leurs collections. Le premier daguerréotype à être entré dans les collections est une photographie de paysage local. Les six autres proviennent du fonds du sculpteur angevin David d’Angers.
Vue des Ponts-de-Cé
Avant 1849
Ce daguerréotype montre la vue d’un ancien pont de bois surplombant la Loire situé sur la commune des Ponts-de-Cé (Maine-et-Loire) et aujourd’hui disparu.
Il est intéressant de noter que ce daguerréotype est rentré dans les collections des musées d’Angers en 1849 soit seulement 12 ans après l’invention de ce procédé photographique.
Cela nous montre que le conservateur de l’époque, Victor Godard-Faultrier, avait déjà perçu l’intérêt de conserver, outre un souvenir de l’architecture locale, un témoin précieux des débuts de la photographie.
Vue des Ponts-de-Cé, Anonyme, avant 1849, Angers, musées, inv. MA 1 R 280
Trois portraits daguerriens du sculpteur David d’Angers
Portrait de David d’Angers de profil
par Philippe Derussy
vers 1845
L’image est ici centrée sur le profil droit du visage du sculpteur, ce qui n’est pas sans rappeler les profils d’hommes célèbres que David d’Angers a sculpté dans ses nombreux médaillons.
Le portrait daguerrien s’inscrit d’ailleurs pleinement dans cette tradition du portrait en médaillon.
Portrait de David d’Angers de profil, par Philippe Derussy, vers 1845, Angers, musées, inv. 2005.0.165.6
Portrait de David d’Angers avec la Liberté non voilée, et avec la Liberté voilée
par E. Thiesson
1845 ou 1849
Portrait de David d’Angers avec la liberté non voilée, par E. Thiesson, 1845 ou 1849, Angers, musées, inv. 2005.0.165.1
Portrait de David d’Angers avec la liberté voilée, par E. Thiesson, 1845 ou 1849, Angers, musées, inv. 2005.0.165.2
La date de création de ces deux daguerréotypes, portée sur chacun d'eux, peut être lue comme 1845, mais la forme du dernier chiffre étant ambigüe, il pourrait être également compris comme 1849. Emilie David, la veuve du sculpteur, confirme la seconde date dans une lettre, datée du 10 décembre 1862, qu'elle adresse à Victor Pavie, écrivain angevin et ami intime de la famille.
La réalisation de ces daguerréotypes date donc soit de la fin de la Monarchie de Juillet, soit du début de la IIe République, David est alors fortement engagé politiquement comme républicain. Après les trois journées révolutionnaires, du 22 au 24 février 1848 auxquelles il participe, David est nommé maire du XIe arrondissement (actuel VIe arrondissement) de Paris et refuse le poste de Directeur des musées nationaux. Il s’implique totalement dans son nouveau rôle, prenant ses fonctions à bras le corps.
Le sculpteur, âgé de 57 ou 61 ans, pose, comme dans les portraits de la Renaissance, à côté d'une de ses oeuvres, la statuette de la Liberté symbolisée par une jeune femme. Sur la seconde image, celle-ci est voilée. Certains ont vu dans ce voile un message politique.
Dans une lettre adressée à Victor Hugo le 23 septembre 1862 (Maison de Victor Hugo, Correspondance, 1011), Émilie, évoque ce voile comme « une singulière intuition de l’avenir » en référence au coup d’État de Napoléon III en 1851 qui sera à l’origine de l’arrestation de David comme opposant politique et de son exil. De façon plus pragmatique, ce voile aurait été posé pour cacher « l’éclat trop vif du plâtre de La liberté » lors de la séance de pose.
Emilie le confirme également dans la lettre évoquée plus haut, adressée à Victor Pavie. Cette lettre est éclairante à la fois sur le ressenti de la veuve sur le daguerréotype et, comme nous venons de le voir, sur l'histoire de sa réalisation.
En voici un extrait : "[...] Malgré votre peu de sympathie pour les photographies, je pense que celle que contient ma lettre, non seulement trouvera grâce devant vous mais encore vous fera partager l’impression à la fois douce et douloureuse qu’elle nous a causé à tous. C’est un daguerréotype presque effacé qui nous a donné cette résurrection qui laisse bien en arrière tous les portraits que nous avons quel en soit d’ailleurs le mérite. Comme vous devant chacune de ces œuvres d’art, je fermais les yeux et retrouvais au fond sacré de mes souvenirs une image plus vivante, plus animée, plus intime, les mauvais jours s’effaçaient et je revoyais mon mari plein d’ardeur, de jeunesse de cœur, d’enthousiasme cela tant dans ses traits expressifs. Cette pauvre petite feuille de carton m’a presque rappelé tout cela en réalité. Il y a bien déjà une profonde mélancolie (ce daguerréotype fut exécuté en 49 et par un hasard que David appelait prophétique, on avait couvert d’un voile la Liberté pour en atténuer la blancheur du plâtre nuisible à l’effet) car il avait déjà subi bien d’amères déception mais il n’y a pas encore de découragement et malgré tout nous sommes heureux de l’avoir. Très peu d’épreuves sont encore tirées. Ma famille, le Père Goupil et vous êtes encore les seul à l’avoir. J’en enverrai dès que j’aurai les autres à ceux qui lui gardent un souvenir en première ligne, Mrs Bodinier et Dauban [...]" (Emilie David à Victor Pavie, 10 octobre 1862, Bibliothèque municipale d’Angers, Rés. MS 2966 (14))
Silence, ça tourne !
Ce daguerréotype a été filmé par Agnès Varda lors de l’exposition « Le daguerréotype français, un objet photographique » qui a eu lieu en 2003 au musée d’Orsay. La célèbre réalisatrice tournait en effet un documentaire sur les daguerréotypes pour les bonus d’un DVD consacré à son film documentaire « Daguerréotypes » qu’elle avait tourné en 1975 sur les gens et les commerçants de la rue Daguerre à Paris.
Trois vues de la statuette La liberté de David d’Angers
par E. Thiesson,
1846
La liberté, par E. Thiesson, 1846, Angers, musées, inv. 2005.0.165.3
La liberté, par E. Thiesson, 1846, Angers, musées, inv. 2005.0.165.4
La liberté, par E. Thiesson, 1846, Angers, musées, inv. 2005.0.165.5
Nous ne savons pas si David aurait eu besoin d'une image de lui pour un objectif bien défini ou s'il voulait obtenir un portrait en se confrontant à ce nouveau procédé photographique. De même, nous pouvons supposer que la statuette fut choisie, non seulement pour sa petite taille, mais avant tout pour ce qu'elle représente : la liberté, une valeur pour laquelle s'est engagé politiquement le sculpteur. Elle sera photographiée par Thiesson sous plusieurs angles en 1846.
La femme vêtue d'une tunique romaine, coiffée du bonnet phrygien, s'appuie d'une main sur un fusil à baïonnette, l'arme des barricades et des défenseurs de la liberté, de l'autre, elle porte une gerbe de lauriers et un phylactère sur lequel sont inscrites deux dates révolutionnaires : "1789" et "1830". Elle foule aux pieds des chaines. Sur un autel, sont représentés une équerre et un compas, outils d'architecte et symboles maçonniques. Sur la plinthe, se lit une inscription extraites de la Marseillaise : "Liberté, Liberté chérie, combats avec tes défenseurs".
Cette allégorie de la liberté, armée, évoque celle de Delacroix dans La Liberté guidant le peuple, de 1830.
Le sculpteur aurait imaginé cette figure symbolique dans l’idée de réaliser une sculpture colossale pour le couronnement de l’Arc de triomphe de Paris qui s'est achevé en 1836. David avait appelé ce couronnement de ses voeux dans la presse. Cependant, ce projet ne fut jamais réalisé.
La statuette sera remaniée et une nouvelle date inscrite, "1848", après la troisième révolution française qui se déroule à Paris du 22 au 25 février 1848.