Edward Baran

Le Chemin à l'envers

Edward Baran nous a quittés le 13 mai 2021. Le musée des Beaux-Arts d’Angers avait présenté, du 16 mai au 15 septembre 2013, une rétrospective de l'oeuvre de cet artiste polonais installé en Anjou depuis plus de 30 ans. 

Première rétrospective consacrée à cet artiste en France, l’exposition revient sur presque 50 ans de carrière, et s’attache à montrer cette oeuvre foisonnante dans toute sa richesse et sa diversité.

Les grands papiers « libres » de l’artiste, fil conducteur de son travail, restent sa marque distinctive bien que Baran ne cesse d’explorer de nouvelles voies ou de nouveaux moyens d’expression.


L’association de diverses pratiques, le dessin, le monotype, la gravure sous toutes ses formes, sont autant de moyens pour lui d’approcher la peinture, longtemps interdite à ses yeux. Depuis peu, il se mesure à la toile, symbole de la peinture traditionnelle.


C’est le chemin à l’envers de son itinéraire.

L'artiste pris en photo par le photographe des musées d'alors, Pierre David. Toutes les photos (hors les photos de montages et les photos attribuées) qui suivent sont de lui. Merci Pierre !

Une exposition, une rencontre entre un artiste et les équipes du musée

Edward et Christine, un artiste et un conservateur commissaire de l'exposition, visiblement heureux de travailler ensemble. Une complicité qui dure depuis plus de 30 ans.

L'équipe du Service des publics, et notamment Julie et Chantal au premier plan, prête à faire découvrir l'exposition aux visiteurs

Christine et Edward en 1987 dans l'atelier de l'artiste
 (détail, photo : Thierry Bonnet)

Edward Baran et Christian Rouillard, réalisateur, commissaire de l'exposition et ami de l'artiste, en pleine réflexion pendant le montage.

Une expo à monter ? L'indispensable équipe technique et la régie des oeuvres, à l'écoute de l'artiste et des commissaires d'exposition, sont là pour tout solutionner.
Attention, professionels en action !

Vous voulez voir d'autres photos du montage, cliquer ici !

L'exposition est enfin prête. Elle éclaire un parcours artistique riche et multiple...

Le montage est fini, l'exposition est prête à être partagée et contemplée (détail, photo Thierry Bonnet)

Vous voulez voir d'autres photos de l'exposition, cliquez ici.

Du tissage au papier

De 1955 à 1961, Edward Baran étudie à l’École des beaux-arts de Varsovie. Il suit le cours d’un peintre figuratif, mais fréquente aussi l’atelier de recherche textile.

Le tissage est, pour lui, une révélation.

Sur une chaîne de fils parallèles, il entrecroise des matières différentes : caoutchouc, sisal, raphia, toile de jute...

Le travail monte, apparaît progressivement. L’artiste se confronte à la résistance physique des matériaux ; lorsque les deux fils se croisent, deux forces s’installent, puis s’assemblent.


L’artiste réalise des tapisseries aux surfaces pleines, denses, rugueuses. La lumière ne passe pas, la matière prime.

Les commandements sombres, 1975
Acrylique sur papier, papier Kraft marouflé sur toile, 1 x 1m
Atelier de l'artiste

Composition rouge, bleue, beige, 1976
Toile coupée, peinte, tissée, peinture glycérophtalique, 0,81 x 0,85 m
Angers, musées, inv. MT 76.1.1

À la fin des années 1970, Edward Baran s’éloigne du textile.

Il récupère des papiers d’emballage, des journaux et en explore les propriétés plastiques. Il coupe, superpose, colle et peint. La peinture est monochrome et irrégulière. Ensuite, il frotte le papier encore humide, créant des déchirures, des accidents, laissant apparaître les couches sous-jacentes.

L’artiste efface sa propre peinture. L’aspect final de l’oeuvre est régulier, les bandes horizontales rappellent la trame du tissage.

Cette démarche le rapproche alors du mouvement Support/ Surface (1969-1972). Ce groupe d’artistes questionne et bouleverse les composants élémentaires de la peinture : présentation de toiles sans châssis, déstructuration du tableau et valorisation de pratiques artisanales.

Les papiers évidés

Dans la continuité de ses expérimentations autour du papier, Edward Baran invente un nouveau processus créatif qui caractérise son travail depuis plus de trente ans.

À plat, l’artiste dispose des grandes feuilles de papier. Méthodiquement, il insère un réseau de fils qui renforce la structure. Il applique sciemment la colle à certains endroits. Puis, il recouvre la surface de peinture ; le geste est rapide et aléatoire, le résultat est abstrait. Cette image peinte, Edward Baran est le seul à la voir.

Ensuite, il procède à « l’épluchage » : il déchire le papier jusqu’à laisser apparent le quadrillage de fils. Seuls quelques fragments restent accrochés, créant une nouvelle image. La peinture s’efface alors au profit de la trame, construction rigoureuse.

La Porte, 2003
Papier, fil, colle, peinture acrylique, 2 x 2 m
Angers, musées, inv. 2004.27.1

Sa passion pour les cerfs-volants japonais Edo lui inspire la technique du papier armé :

« J’ai commencé à collectionner les livres sur les cerfs-volants et cela a même été pendant très longtemps ma lecture préférée.

Mon premier schéma de structure correspond à l’ossature de l’ancien cerf-volant japonais Edo : un rectangle divisé en 4 fois 4 champs et deux diagonales.

C’est ce schéma dont la résistance était éprouvée, vérifiée, que j’ai tout d’abord adapté à mes structures de papiers. » 

(citation extraite de « De la matérialité à l’invisible, entretien d’Edward Baran avec Inès Champey, 16 avril 1981 » dans catalogue de l’exposition Edward Baran 1976-1980, Aix-en-Provence, musée de la Tapisserie / Angers, musée des Beaux-Arts).

Grand Losange, 2012
Papier, fil, tarlatane, peinture acrylique, 4,15 x 4 m
Atelier de l'artiste

La fureur de peindre

Détail de Grand Losange, 2012

Des papiers libres

Edward Baran présente ses papiers évidés sans châssis, ni cadre, libres de leur mouvement. La fragilité devient partie intégrante de son oeuvre ; l’accrochage minimaliste respecte ce principe.


Parfois, l’artiste évide au maximum son papier, pour ne laisser que quelques fragments accrochés à la trame. Les vides sont aussi importants que les pleins. Ils structurent la composition et apportent
une respiration :

« Quand je regarde un arbre, je vois les feuilles, mais je sais aussi qu’il y a l’air qui circule entre les feuilles… L’air aussi est visible. » (ibid.)

L'importance du fragment

La mécanique des papiers déchirés est un processus lent de construction, puis de déconstruction. Il est difficile de soupçonner le temps passé à construire la surface, puis à la détruire, à dégager avec précaution les fils de trame. Dans les pièces les plus évidées, les déchirures sont les fragments colorés d’une image que le regardeur peut recréer.

« Il y a quelque chose qui m’obsède, c’est l’histoire du fragment, des miettes. Les papiers, il faut que je les traite mal. Je pourrais les laisser tels quels, mais il faut que les images soient incomplètes, qu’elles me surprennent. » (ibid.)

En écho aux papiers évidés, l’exposition présente différentes expérimentations autour de la peinture. Edward Baran développe différents procédés pour approcher la peinture, dont il s’est longtemps éloigné.


Comme pour les papiers évidés, Edward Baran conserve le principe de « peinture par soustraction » (Citation extraite du texte de Michel Thomas, « Edward Baran ou la peinture par soustraction », dans catalogue de l’exposition Fil, papier, espace. Edward Baran).


« Quand il peint, [il] laisse la couleur envahir la toile, il la comble, la surcharge, alors même qu’il espère le blanc, le vide. » (Christian Rouillard, « Derviche couleur », dans Edward Baran, le chemin à l’envers, catalogue de l’exposition, Angers, musée des Beaux-Arts, 2013).


Il « corrige » ainsi sa peinture en la recouvrant de blanc ou en prélevant des fragments, qu’il replace ailleurs. Avec la technique du monotype, l’artiste trouve un intermédiaire pour peindre. L’artiste dessine, peint sur un support, puis applique ce dernier sur du papier. L’empreinte apparaît alors. Depuis peu, Edward Baran revient à la peinture. Si l’artiste a souvent préféré le papier, il se confronte aujourd’hui à la toile tendue sur châssis, symbole de la peinture traditionnelle.


Ses tableaux présentent un aspect brut, des superpositions de matière, des coulures, des formes et des signes. La surface est rythmée par l’impact du pinceau, par des traits croisés qui rappellent la chaîne et la trame, par des traces de chiffon sur la peinture. Souvent, l’artiste ne mélange pas ses couleurs sur une palette. Il le fait directement sur la toile. Par endroits, il ajoute du blanc, comme pour retrouver le vide des papiers déchirés.


Le geste est rapide, l’artiste peint sans préméditation, comme guidé par le pinceau. Il ne cherche pas à « faire beau » ; il préfère expérimenter, risquer un geste neuf.

L'aventure Joyce, 1988 - 1990

Extraits de l'Opus J. Joyce, 1988 -1990
Acrylique, craie grasse, encre et impression sérigraphique sur appier, dimensions variables
Angers, musées, inv. 2013.24

Finnegans Wake : un « livre monstre »

À la fin des années 1980, Edward Baran découvre l’oeuvre de l’écrivain James Joyce, Finnegans Wake. Fasciné, il plonge dans ce livre et peint une série de cent-vingt oeuvres environ.


James Joyce (1882-1941) est un romancier et poète irlandais, considéré comme un des écrivains les plus influents du 20e siècle. Son oeuvre est marquée par l’utilisation de nouvelles formes littéraires. Il invente un langage nouveau dans Ulysse (1922) et Finnegans Wake (1939).


Dans ce dernier, l’auteur mêle plusieurs langues, joue sur la musicalité des mots, en invente certains, laisse s’immiscer l’erreur et le hasard. Le texte est réputé difficile, voire illisible et très complexe à traduire.

Extrait de Finnegans Wake : 

« Tom. Il fait parfait degré excelsius. Cy encore la rosegorge. Nuée couve mais maquereaux sont. Anémone activescent la torporature retaube à la normatinale. Nature humide se sent tâtonnant à l’aise avec le tout fresco. La verveine claironne alors que l’herbe s’avère… »

Une lecture boulversante

Edward Baran est bouleversé par la découverte de ce langage neuf. Il est intrigué, séduit par cette écriture explosive à la syntaxe libérée. Il ressasse, comme un refrain, certains fragments du texte. La musicalité des mots le subjugue. Il est aussi marqué par deux dessins de Joyce reproduits dans la marge de Finnegans Wake.


Edward Baran peint sur des formats différents, tout en gardant la même palette : noir, blanc, rose. Il s’approprie les mots, les signes de Joyce qu’il intègre et associe aux siens. Il trace des mots, les superpose, les déforme, les efface, les rendant parfois illisibles. Le trait agité et spontané traduit son émotion. C’est une peinture « furieuse ».

« Cet état de trouble avec Joyce s’est accompagné aussi de l’apparition de l’odeur de la peinture à l’huile que j’utilisais à nouveau. En effaçant, je me suis mis à peindre. » 

(citation extraite de Christine Besson, « Edward Baran : Moi aussi je suis peintre. », dans Revue 303, 1993).

Les estampages

À la fin des années 1990, Edward Baran revisite une technique d’impression ancienne, l’estampage.


L’artiste commence par sculpter le motif dans une plaque de plâtre. C’est la matrice. Il applique dessus une feuille de papier japon à l’aide d’une brosse humide. La feuille épouse la gravure dans ses moindres détails. Il tamponne ensuite la surface avec de l’encre noire : seules les parties saillantes reçoivent l’encre, les parties qui ont épousé les creux de la gravure restent blanches. De ce contraste entre le noir et le blanc naissent les images.


Certains estampages sont réalisés dans une veine expressionniste : compositions abstraites, la surface de ces papiers est entièrement recouverte de traces, de signes. Mains, croix, croissant de lune… constituent le répertoire d’Edward Baran, une sorte d’écriture inventée, maîtrisée, un langage.

« Les signes ont une certaine substance. Je ne peux pas m’en passer mais je ne sais pas pourquoi. » 

(propos recueillis le 18 mars 2013)

Sans titre, vers 1997 - 1999
Estampage sur papier Japon, 1,20 x 0,91 m
Atelier de l'artiste

La série "Toscane"

Cette série rend hommage à l’Italie et à sa lumière.


Les oeuvres sont plus figuratives : on y reconnaît des arbres, des éléments d’architecture, dont la chapelle Santa Maria della Spina à Pise.


Edward Baran retient des fragments de ces paysages, comme des motifs, qu’il transforme, répète, renverse. Interprétation libre d’un paysage, il laisse une grande place au blanc, évocation de la lumière méditerranéenne.

Sans titre, série "Toscane",2001
Estampage sur papier Japon, 1,22 x 0,92 m
Atelier de l'artiste

Les dernières recherches picturales

Sans titre, 2008
Acrylique sur papier marouflé sur toile 1,48 x 1,21 m
Atelier de l'artiste

Sans titre, 2011
Acrylique sur papier marouflé sur toile, 1,50 x 1,32 m
Atelier de l'artiste

Sans titre, 2008
Acrylique sur papier marouflé sur toile, 1,50 x 1,32 m
Atelier de l'artiste

Sans titre, 2013
Huile sur toile, 1,60 x 1,29 m
Atelier de l'artiste

Repères biographiques

•1934. Naissance d’Edward Baran à Lesko en Pologne.
•1955–61. École des beaux-arts de Varsovie.
•1966. Edward Baran vient en France avec sa femme Maria, architecte, et s’installe à Mougins, sur la Côte d’Azur.
•1978. Premiers papiers évidés. Il expose à la galerie Anne Roger à Nice. Premier achat du FNAC.
•1979. Invité par l’École des beaux-arts d’Angers, il enseigne la tapisserie et la peinture jusqu’en 2001. Il s’installe sur les rives de la Loire. Il participe à l’exposition Atelier aujourd’hui, OEuvres contemporaines des collections nationales, Accrochage II au Centre Georges Pompidou.
•1981-82. Exposition Fil, papier, espace au musée d’Aix-en-Provence, puis au musée des Beaux-Arts d’Angers.
•1985. Exposition Edward Baran, 1975-1985, à la Galerie nationale de la Tapisserie de Beauvais.
•1989-90. Opus James Joyce, série de peintures sur papier inspirée par l’oeuvre Finnegans Wake.
•1997-98. Série des Estampages.
•Depuis 2000. S’engage dans de nouvelles recherches picturales.

Collections publiques

par ordre alphabétique

Aix-en-Provence, musée des Tapisseries
Angers, Artothèque et musées
Beauvais, Galerie nationale de la Tapisserie
Carquefou, Fonds Régional d’Art Contemporain des Pays de la Loire
Nantes, musée des Beaux-Arts ; Le Ring
Nice, Musée d’art moderne et d’art contemporain
Oslo, Kunst Industrie Museum (Norvège)
Paris, Fonds National d'Art Contemporain
Varsovie, musée national (Pologne)

Vous auriez envie d'avoir une oeuvre de Baran accrochée chez vous, vous savez que c'est possible ?

Depuis avril 2013, l’Artothèque est rattachée à la direction des Musées d’Angers. L’Artothèque est un lieu de diffusion de la création contemporaine grâce au prêt des œuvres originales de sa collection et à une politique d’expositions et d’activités régulières, dans et hors de ses murs. Elle est également un lieu d’initiation et de sensibilisation à l’art d’aujourd’hui. Elle est installé au RU, dans le Jardin des Beaux-Arts.

 

Le prêt de deux mois permet à chacun de construire sa propre relation à l’œuvre dans la vie quotidienne, à la maison, à l’école ou dans l’entreprise.

 

L'artothèque vous propose d'emprunter 19 oeuvres sur papier d'Edward Baran.

Quelques exemples d'oeuvres empruntables à l'artothèque

Toute l'équipe des musées s'associe à la douleur de sa famille et de ses amis, nous leur dédions ce simple hommage.

"J'ai de plus en plus l'impression que le chemin qu'il fallait, je l'ai pris à l"envers. Tant pis, ce chemin m'appartient."