Don de la famille Beyssat :

un don qui nous en apprend plus

sur David d'Angers !

Le Christ aux enfants

par Pierre-Jean David d'Angers, vers 1846

Un dessin pour un projet non réalisé : un rare témoignage

Le dessin proposé par la famille Beyssat témoigne de l'intention qu’avait eu l’artiste de réaliser un Christ, pour la cathédrale en 1846. 

Ce dessin est effectivement préparatoire au groupe, le Christ aux enfants, projeté pour la cathédrale Saint-Maurice d'Angers, et qui ne fut pas réalisé. La trace de ce projet est mentionnée dans la biographie de l’artiste écrite par Henry Jouin, David d’Angers, sa vie, son œuvre, ses écrits et des contemporains, en 1878 et que ce dernier date des environs de 1846 :

« Je veux exécuter prochainement, écrit-il [David] encore, un groupe que je destine à la cathédrale d’Angers : je présenterai le Christ entouré de tout jeunes enfants. Les plus âgés, placés devant lui, tendront leurs petits bras vers le Sauveur. D’autres se cacheront dans son manteau. De chaque côté, je veux sculpter un nègre et un sauvage : ces deux petites créatures traîneront sur leurs genoux ; toutes deux auront le regard fixé sur le front du grand législateur. Il sera visible qu’elles ne connaissent pas encore sa doctrine. Ces enfants aux pieds du Christ résumeront bien l’humanité. » (Notes autographe de David appartenant à la famille, citées par Jouin, 1878, t. I, p. 427)

Une thématique peu présente dans l’œuvre de David

Pierre-Jean David d’Angers est une figure emblématique de la scène artistique française dans la première partie du XIXe siècle. Il a joué un rôle important dans la pratique de la sculpture, dans l’histoire et la culture de son temps, mais aussi dans la réflexion sur l’art en France au XIXe siècle. Travailleur infatigable, il a parcouru la France et l’Europe pour réaliser sa galerie de portraits des Grands Hommes et répondre aux commandes de monuments publiques.

Les musées d'Angers conservent le fonds le plus important du sculpteur David d’Angers, donné par l’artiste lui-même puis par sa veuve et ses deux enfants, complété par des acquisitions et des donations ultérieures. Ce fonds est composé de 41 statues, 56 statuettes, 86 bas-reliefs, 133 bustes, 772 médailles et 3935 dessins.

Même si les dessins sont très nombreux, certains projets sculptés ne sont pas accompagnés dans nos collections de dessins préparatoires si utiles pour comprendre le processus créatif de l’artiste et voir les options qu’il a abandonnées ou poursuivies jusqu’à la version sculptée. Et inversement parfois les dessins peuvent être les seuls témoins d’un projet non réalisé, comme c’est le cas ici.

Dans l’œuvre prolifique du sculpteur, la part des œuvres « religieuses » est congrue. Mettant de côté les statues des personnalités du monde religieux à qui David a rendu hommage par son ciseau comme faisant partie des grands hommes à qui la société aurait une dette de reconnaissance, il peut être évoquer le Calvaire dont David a reçu la commande en 1821 pour la ville d’Angers, le bas-relief de la Religion commandée pour orner le tombeau du marquis de Bonchamps inauguré en 1825, celui du monument funéraire du fils de M. de Papiau au cimetière d’Angers à la même date, et la Sainte Cécile donnée à la cathédrale d’Angers en 1838.

Dans l’œuvre dessiné, deux autres dessins représentant le Christ sont connus, un simple croquis pour le même projet conservé dans les collections des musées d’Angers (MBA 364.4.4, ci-contre) et un dessin d’un Christ écrivant sur le toit du monde conservé au musée de Rennes.

Pierre-Jean David d'Angers, Christ aux enfants, vers 1846, plume et encre noire sur papier, 16,5 x 11 cm, Angers, musées, inv. MBA 364.4.4.

Une belle feuille montrant un stade avancé de sa réflexion sur le groupe sculpté

Les musées d’Angers ne possédaient qu’un seul dessin, un petit croquis évoquant ce projet, mais peu abouti (MBA 364.4.4, ci-dessus). Le dessin proposé au don est une belle feuille, de grande taille, aux détails assez poussés. Ces grandes feuilles ne sont pas très nombreuses dans le fonds qui compte 498 feuilles autonomes, c’est-à-dire, non collées dans des albums, et généralement d’une taille moindre, représentant environ 12 % des dessins de David.

 

David travaillait beaucoup la phase dessinée pour aboutir à la disposition des personnages, tout autant qu’à leurs poses et à leurs expressions, les plus significatives possibles.

Ainsi le christ est à la fois extrêmement droit, presque hiératique, les lèvres serrées, et en même temps, d’une grande douceur évoquée par sa tête penchée, son regard apaisé et le mouvement enveloppant qu’il donne à son manteau pour protéger les enfants qui se pressent autour de lui. Les enfants forment deux groupes. Les enfants européens, curieux, s’attachent à décrypter le mot marqué sur la feuille tendue par le Christ portant la mention « Fraternité ». Un est assis dans une attitude de dévotion, un s’appuie sur une béquille, les deux autres sont debout. L’autre groupe est composé d’enfants africains, agenouillés, dans une attitude d’attente. Ce décalage entre le traitement des deux groupes peut faire grincer les dents de nos contemporains, pourtant il faut savoir que David, certes marqué par les préjugés de son époque, s’est positionné fortement contre l’esclavage et pour l’équité entre les peuples. Il a d’ailleurs eu l’ambition de sculpter une statue d’un homme noir rompant ses chaînes qu’il ne put pas réaliser.

 

Cette attention portée par David à la recherche graphique est la même pour tous ses projets. Il est attentif à tous les détails, même infimes. On peut d’ailleurs citer un passage, éclairant, de ses notes sur la représentation du christ qu’il semble totalement avoir fait sienne dans ce projet. Avant de citer le passage et pour le dire vite et sans les nuances qui seraient bienvenues, David n’est pas un homme croyant, cependant il est soucieux de respecter les croyances des autres. Cette note retranscrit ce que David aurait dit à un artiste dont il ne cite pas le nom et qui réalisait alors un Christ devant ses juges : « J’ai dit à l’artiste : « Ne le posez pas avec l’énergie du soldat attendant la mort. Si vous rentrez cette jambe qui est en avant, vous aurez une ligne plus noble et architecturale. Un grand homme qui fonde une religion est un être privilégié qui doit résister aux siècles, et les lignes simples de l’architecture rendent bien l’impression de durée. Relevez sa tête, car il aurait l’air d’un criminel devant ses accusateurs. Ne la levez pas trop, cependant, cela indiquerait la passion d’un être faible qui demande du secours au ciel, mais tenez-là droite, et montrez par l’expression du regard qu’il dit à Dieu : « Voilà le sacrifice que tu as exigé de moi qui va s’accomplir ; puisse-t-il être utile à cette pauvre humanité si faible, par conséquent si sujette à l’erreur ! » Une mélancolique résignation, une légère nuance de déception et d’amertume doivent se lire sur sa physionomie, sur les lèvres, mais si peu indiquées pourtant qu’elles ne puissent être saisies que par des yeux exercés. Moins vous chercherez à accentuer l’expression, plus vous produirez l’effet. L’imagination du spectateur doit compléter votre pensée. Il faut, toutefois, que l’indication soit toujours juste, afin que l’impression de l’esprit ne puisse errer. Pensez, dis-je encore, aux figures égyptiennes, à leur grande simplicité monumentale. Les lignes calmes conviennent aux grands philosophes, qui ne sont pas des hommes d’action comme les soldats » (cité dans Jouin, 1878, t. II, p. 309-310). On voit bien que cette description correspond parfaitement au dessin que David a fait pour le projet et qui permet d’évoquer au plus près, ce qu’aurait pu être la sculpture.

Un dessin à résonnance dans son œuvre

Ce dessin évoque une autre représentation graphique du Christ dans l’œuvre dessinée de David : Le Christ écrivant sur le monde, vers 1840, conservé au musée de Rennes et qui semble préfigurer certaines œuvres d’Odilon Redon. Comme le thème est peu développé dans l’œuvre de David, il est intéressant d’en recueillir les rares représentations pour en enrichir notre perception.

 

Par ailleurs, la pose du Christ dans le dessin proposé fait penser à celle que David avait utilisé dans ses études pour le groupe sculpté du Commerce pour la Douane de Rouen vers 1834. D’ailleurs, David a présenté Le Commerce comme un génie bénéfique "moteur de la civilisation qui doit émanciper le genre humain […]" (Huchard, 1984-1989, p. 96 en citant les propos de David). On peut remarquer la similitude de la conception du Commerce et de la figure du Christ comme une entité qui œuvre au progrès de l’humanité.

 

Les musées d’Angers conservent également cinq dessins préparatoires à ce projet de la Douane de Rouen qui a varié au cours des recherches graphiques de David. D’un génie ailé complété par des attributs, il avait évolué vers un personnage debout, drapé, accompagné d’enfants accroupis à ses pieds. Enfin, l’idée qui perdurera jusqu’à la sculpture définitive est trouvée : le Commerce debout, tenant un caducée et une balance, est entouré de quatre enfants symbolisant les quatre parties du monde. Ils sont d’abord accroupis (MBA 602.3), avant d’être représentés debout les bras levés vers le Commerce lui offrant les biens représentatifs de leur production : « l’Africain tient une branche de caféier ; l’Asiatique une plante ; l’Américain, une fourrure ; l’Européen, un livre » (Henry Jouin, Inventaire général des Richesses d'Art de la France, Province, Monuments civils, t. VIII, Paris : Plon, 1908, p. 306).

Cette idée des enfants représentants les différentes parties du monde seront aussi repris dans le projet des bas-reliefs accompagnant le monument de Gutenberg, vers 1838.

 

La composition des dessins pour la Douane de Rouen est très similaire à la feuille de la famille Beyssat, les enfants sont également très ressemblants d’un projet à l’autre. Ce projet de la Douane de Rouen a peut-être servi de point de départ dans la réflexion sur le projet de Christ entouré d’enfants. En effet, David peut reprendre des dessins faits antérieurement pour mener de nouveaux projets sculptés. Ce dessin peut donc être vu dans un processus long de création.

David d'Angers, Etude pour le monument à Gutenberg, 1840, 27 x 21 cm, Angers, musées, inv. MBA 364.2.44.

David d'Angers, Bienfaits de l'imprimerie en Afrique (détail), bas-relief du monument à Gutenberg, 1840, plâtre, Angers, musées, inv. MBA 842.9

Un historique intéressant

Pour le sculpteur, Pierre-Jean David d’Angers, les dessins constituent un répertoire de formes et d’idées dans lequel il venait puiser son inspiration. C’est sans doute pour cela qu’il conserva précieusement le moindre de ses traits, à l’abri des regards, toute sa vie. Il ne donna que deux de ses dessins au musée d’Angers représentant le chimiste natif d’Angers, Louis Proust, alors qu’il donna pratiquement un exemplaire de chaque œuvre sculptée (plâtres des statues et bas-reliefs, médaillons en bronze…).

 

Après la mort du sculpteur survenue le 5 janvier 1856, son fils, Robert, a récupéré, et avant le décès de sa mère en 1879, la presque totalité des dessins de son père. Il est possible que sa mère l’ayant poussé dans la carrière de sculpteur, lui ait destiné le matériel d’études de son père. C’est ainsi que Robert hérita de l’œuvre dessinée de son père, dont ce dessin dont le projet est mentionné dans la biographie d’Henry Jouin, David d’Angers, sa vie, son œuvre, ses écrits et des contemporains, en 1878, t. I, p. 427.

Si la fille du sculpteur, Hélène, s’occupa activement de donner les œuvres de son père dont elle avait la charge, faisant même refaire des moulages à partir des œuvres en place dans l’espace publique pour compléter le fonds des musées d’Angers, son frère n’avait pas le même rapport à l’œuvre de son père, n’hésitant pas à en vendre (surtout les correspondances et les dessins) mais aussi à en garder auprès de lui. Le frère et la sœur se confrontèrent sur cette question jusqu’à être complètement brouillés.

 

Abandonnant finalement l’idée de faire une carrière de sculpteur, il entreprit des études de médecine à Paris. C’est à ce moment-là qu’il rencontra, le futur docteur Dézanneau à qui il donnera ce dessin en 1897, en souvenir de leurs études communes de médecine, comme le prouve la dédicace signée sur le montage du dessin : "Souvenir de son vieux camarade des Hôpitaux // offert à l'éminent chirurgien Dézanneau // par son bien dévoué et reconnaissant // Robert David d'Angers // Angers 1897".

Dézanneau était botaniste et docteur en médecine à Angers. Il fut également professeur de clinique chirurgicale à l'école de médecine d'Angers, chef d'un grand service d'hôpital. Il fut élu correspondant national pour la division de pathologie chirurgicale le 3 avril 1894. Il fit également partie de la Société botanique de France de 1855 à 1898, date de sa mort.

 

Le dessin resta dans sa famille et se transmit de génération en génération. Ce sont les arrière-arrière-petits-enfants du docteur, Valérie et son frère Laurent Beyssat, qui ont eu la générosité de donner ce dessin aux musées d’Angers pour en faire profiter le plus de personnes possibles. Les musées d'Angers et la ville d'Angers les remercient chaleureusement.

Mes musées d'Angers remercient chaleureusement la famille Beyssat pour son généreux don.