DES PEINTURES MONUMENTALES DANS LES ÉGLISES PARISIENNES

Pour en savoir plus, lire l'essai de Véronique Milande, "Jules-Eugène Lenepveu à Paris : un artiste au coeur des grands chantier de décoration religieuse",

dans le catalogue de l'exposition paru chez In fine, 2022. Les textes ci-dessous sont inspirés ou repris de son article.

Lenepveu participe au renouveau de la peinture religieuse à Paris au XIXe siècle aux côtés d’autres artistes officiels comme William Bouguereau et Isidore Pils.

Détail de La Fuite en Égypte, église Sainte-Clotilde, chapelle de la Vierge, Paris. © Ville de Paris, COARC / Emmanuel Michot

Après les ravages de la Révolution, le Concordat rétablit le culte en 1801 : les églises paroissiales sont alors gérées par les communes qui doivent les restaurer et les entretenir. Naît alors une politique de commande publique d'œuvres d'art pour décorer ces lieux de culte, dont beaucoup sont créés à cette époque en lien avec la hausse de la démographie.

De 1860 à 1876, sous le Second Empire puis la Troisième République, Lenepveu se voit confier les peintures monumentales pour la décoration de six chapelles dans le cadre de chantiers de construction d’édifices (églises Sainte-Clotilde et Saint-Ambroise) et de campagnes de décorations d’édifices existants (églises Saint-Louis-en-l’Île et Saint-Sulpice).

La chapelle de la Vierge

dans la basilique Sainte-Clotilde : dans les pas de Picot

Suite à l'abandon de François Edouard Picot, trop âgé pour mener le chantier, Lenepveu se voit confier sa première commande parisienne de décor religieux en 1857 pour la nouvelle église consacrée à Sainte-Clotilde, édifiée entre 1846 et 1857. Il réalise les peintures de la chapelle de la Vierge qui reprend les dessins préparatoires de son maître Picot pour se conformer à l'organisation des scènes en registres superposés, avec au sommet une scène peinte derrière un décor feint d'arcatures gothiques.

.

L'ensemble, peint à la cire, est structuré en 12 panneaux : La Naissance de la Vierge, La Présentation au Temple, L’Éducation de la Vierge, Le Mariage de la Vierge, L’Annonciation, La Visitation, L’Adoration des Mages, La Fuite en Égypte, Jésus parmi les docteurs, La Vierge et les Saintes Femmes sur le chemin du Calvaire, La Vierge et les Saintes Femmes au pied de la Croix, L’Assomption.

.

Cette structuration en registres bien délimités reprend les modèles gothiques italiens du Trecento, selon le projet de Picot ; mais c’est aussi une source d’inspiration chère à Lenepveu, comme en témoignent ses carnets de dessins italiens.

.

Les qualités de Lenepveu sont indéniables : l’aisance à composer des grands formats, la lisibilité de la scène, la précision du dessin, la clarté et la luminosité des couleurs. 

Vues de la chapelle de la Vierge, 1860, église Sainte-Clotilde, Paris. © Ville de Paris, COARC / Emmanuel Michot

Le chapelle de Saint-Denis

dans l'église Saint-Louis-en-l'Île  ou la violence maîtrisée

En 1861, la Ville de Paris lui confie la décoration de la chapelle Saint-Denis de l’église Saint-Louis-en-L’Île. Cet édifice, construit entre 1656 et 1726, très sobre, a principalement été décoré au XIXe siècle.

.

Lenepveu travaille ici à l’huile sur toile et représente les deux épisodes les plus connus de la vie du saint, Le Martyre de saint Denis et ses compagnons et Les Martyrs ensevelis par Catulle. Ils lui sont payés 6000 francs (COARC : document du 9 juillet 1861).

.

Le rapport de la commission des Beaux-arts du 27 septembre 1861 indique que les compositions sont admises avec éloges mais précise que « (…) toutefois, l’artiste devra s’attacher à dissimuler davantage les cadavres mutilés et à faire disparaître, autant que possible, les traces de sang et les têtes séparées des troncs »(COARC : document du 9 juillet 1861).

Le Martyre de saint Denis, 1862, chapelle Saint-Denis de l'église Saint-Louis-en-l'Île, Paris. © Ville de Paris, COARC / Jean-Marc Moser

Les Martyrs ensevelis par Catulle, 1862, chapelle Saint-Denis de l'église Saint-Louis-en-l'Île, Paris. © Ville de Paris, COARC / Jean-Marc Moser

Et en effet, les changement pratiqués par Lenepveu sont visibles depuis ses études peintes préparatoires ci-dessous. 

.

Dans la peinture définitive, toutes les sections des têtes tranchées sont dissimulées par des draperies, les traînées de sang n’y sont plus, certaines têtes coupées ont disparu et celle de saint Denis, familièrement posée sur son torse dans l’esquisse, est beaucoup plus respectueusement tenue par les mains drapées d’une femme dans la version finale : en revanche ; les têtes de saint Rustique et saint Eleuthère qu’elle tenait auparavant ont été retirées de la composition. 

.

Hélas, il n’est plus possible de contempler les œuvres in situ depuis l’installation d’un orgue qui les dissimule.

Le Martyre de saint Denis et Les Martyrs ensevelis par Catulle, 1861, esquisses peintes, 46,1 x 55,5 cm, Angers, musées, inv. 2014.1.2

La chapelle Sainte-Anne

dans l'église Saint-Sulpice : aux couleurs de la Renaissance

Le 24 juillet 1862, la commission des beaux-arts choisit à nouveau Lenepveu, cette fois pour la décoration de la chapelle Sainte-Anne de l’église Saint-Sulpice, à l’issue d’un vote où il l’emporte d’une voix sur Bouguereau. La commande lui est passée le 9 août pour 20 000 francs et comprend les deux murs et la voûte de la chapelle.

.

Lenepveu se met au travail et les esquisses de La Naissance de la Vierge et de La Présentation au Temple sont approuvées le 16 octobre 1863.

.

Les influences de Véronèse dans l’utilisation des architectures et de Raphaël dans la précision du dessin et la gestuelle des personnages sont évidentes.

La Naissance de la Vierge, 1864, église Saint-Sulpice, Paris. © Ville de Paris, COARC / Jean-Marc Moser

Présentation au Temple de la Vierge, 1864, église Saint-Sulpice, Paris. © Ville de Paris, COARC / Jean-Marc Moser

La comparaison des cartons poncifs et des peintures exécutées montrent que des modifications ont été faites par l'artiste afin d’alléger les compositions.

Carton préparatoire de La Naissance de la Vierge, 1863-1864, fusain, pierre noire et trous de poncif sur papier vélin, Angers, musées, inv. 2019.0.17.1.2

Carton préparatoire de La Présentation de la Vierge, 1863-1864, fusain, pierre noire et trous de poncif sur papier vélin, Angers, musées, inv. 2019.0.17.1.1

La chapelle de Sainte-Valère

dans la basilique Sainte-Clotilde : l'art de la théâtralité

Aucun répit n’est laissé à Lenepveu qui poursuit son parcours de peintre de grands décors à l’Opéra en 1865 mais dès 1866 il obtient une nouvelle commande pour l’église Sainte-Clotilde car Henri Lehmann, chargé de décorer le transept en 1854, annonce que son état de santé ne lui permet pas de poursuivre son travail.

.

Lenepveu reçoit alors la commande de La Conversion de sainte Valère et du Martyre de sainte Valère sur les deux murs du transept sud, qui seront achevées en 1868.

.

La taille importante des murs offre un vaste champ de composition et les scènes produites mesurent 9,35 m de haut sur 4,80 m de large en incluant les parties décoratives, soit en tout près de 90 m2 à couvrir. À la différence de la chapelle de la Vierge, peinte à la cire, Lenepveu réalise son décor à l’huile directement sur enduit, ce qui lui permet sans doute de gagner du temps.

.

Ses compositions reprennent les dispositifs utilisés pour les peintures de la chapelle Sainte-Marie de l’hôpital d’Angers et pour les décors des églises parisiennes : on retrouve la structuration étagée des plans afin d’initier une dynamique ascensionnelle, renforcée par la gestuelle, le jeu des regards, les nuées peuplées d’anges aux bras levés au sommet de la composition. L’effet théâtral est accentué par le choix des couleurs aux dominantes bleues et dorées, éclairées par de puissants coups de lumière. C’est un décor original, poétique, presque onirique, et l’importance des zones dédiées aux motifs décoratifs donne l’impression de se trouver face à une tapisserie ou à l’illustration richement ornée d’une page de livre.

La Conversion de sainte Valère, 1868, église Sainte-Clotilde, chapelle Sainte-Valère, Paris. © Ville de Paris, COARC / Emmanuel Michot

La Glorification de sainte Valère, 1868, église Sainte-Clotilde, chapelle Sainte-Valère, Paris. © Ville de Paris, COARC / Emmanuel Michot

Les toiles pour le bras gauche du transept

de l'église Saint-Ambroise ou l'art à distance

L’ultime commande d’un décor religieux parisien lui échoit le 24 juillet 1872 pour l’église Saint-Ambroise, construite entre 1865 et 1869 par Théodore Ballu. La décoration intérieure de cet édifice néo-roman et néo-gothique est sobre et laisse majoritairement place à l’architecture et à la sculpture.

.

La commande des peintures pour le bras gauche du transept est initialement passée à Alexandre Hesse (1806-1879) le 12 août 1870, mais sera finalement attribuée à Lenepveu. Lenepveu doit exécuter, pour 25 000 francs, la totalité du décor du transept consacré à deux des Pères de l’Église : saint Ambroise et saint Augustin.

.

Lenepveu se met au travail mais, nommé directeur de l’Académie de France à Rome le 1er janvier 1873, il doit quitter Paris et arrive à la Villa Médicis le 1er juin. C’est donc à Rome qu’il achève exécute ses grandes compositions, à l’huile sur toile. Il sera présent au moment de leur installation dans l'église en juillet 1876 .

Saint Augustin fait cesser l'usage barbare de se battre à coups de pierre pour s'exercer à la guerre, 1876, église Saint-Ambroise, Paris. © Ville de Paris, COARC / Christophe Fouin

Saint Augustin réconcilie les donatistes et les catholiques au concile de Carthage, 1876, église Saint-Ambroise, Paris. © Ville de Paris, COARC / Christophe Fouin

Saint Ambroise interdit l'entrée de l'église à l'empereur Théodose, 1876, église Saint-Ambroise, Paris. © Ville de Paris, COARC / Christophe Fouin

Saint Ambroise vend les vases sacrés pour racheter ses prisonniers, 1876, église Saint-Ambroise, Paris. © Ville de Paris, COARC / Christophe Fouin

Avec cinq commandes en vingt ans dans quatre édifices, Lenepveu occupe une place importante parmi les artistes muralistes rompus à cet exercice. Les commanditaires le prisent comme peintre décorateur pour ses nombreuses qualités, esthétique et pratique. 

Il est en effet capable de réaliser d’immenses compositions, maîtrise les techniques de la peinture murale (à la cire, à la colle ou à huile) et respecte des délais impartis.